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Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/256

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fruits sur les compotiers, des pêches superbes. Et les convives, d’ailleurs, ne semblaient pas difficiles, sans goût, sans nausée. Une délicate jeune fille, charmante, avec ses yeux tendres et sa peau de soie, serrée entre un vieux prêtre et un monsieur barbu, fort sale, mangeait d’un air ravi les rognons, délavés dans l’eau grise qui leur servait de sauce.

— Ma foi ! reprit M. de Guersaint lui-même, il n’est pas mauvais, ce saumon… Ajoutez donc un peu de sel, c’est parfait.

Et Pierre dut manger, car il fallait bien se soutenir. À une petite table, près de la leur, il venait de reconnaître madame Vigneron et madame Chaise. Ces dames attendaient, descendues les premières, assises face à face ; et, bientôt, M. Vigneron et son fils Gustave parurent, ce dernier pâle encore, s’appuyant plus lourdement sur sa béquille.

— Assieds-toi près de ta tante, dit-il. Moi, je vais me mettre à côté de ta mère.

Puis, apercevant ses deux voisins, il s’approcha.

— Oh ! il est complètement remis. Je viens de le frictionner avec de l’eau de Cologne, et tantôt il pourra prendre son bain à la piscine.

Il s’attabla, dévora. Mais quelle alerte ! il en reparlait tout haut, malgré lui, tellement la terreur de voir partir son fils avant la tante l’avait secoué. Celle-ci racontait que, la veille, agenouillée devant la Grotte, elle s’était sentie brusquement soulagée ; et elle se flattait d’être guérie de sa maladie de cœur, elle donnait des détails précis, que son beau-frère écoutait, avec des yeux ronds, involontairement inquiets. Certes, il était un bon homme, il n’avait jamais souhaité la mort de personne : seulement, une indignation lui venait, à l’idée que la sainte Vierge pouvait guérir cette femme âgée, en oubliant son fils, si jeune. Il en était déjà aux côtelettes, il engloutissait de