Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faire des démarches, ne pas rester ainsi dans la rue. On aurait pris votre fille quelque part, c’est certain.

— Oh ! monsieur l’abbé, à quoi bon ? Elle est bien sur mes genoux. Et puis, est-ce qu’on m’aurait permis d’être toujours comme ça, avec elle !… Non, non ! j’aime mieux l’avoir sur moi, il me semble que ça finira par la sauver.

Deux grosses larmes coulaient sur sa face immobile. Elle continua, de sa voix étouffée :

— Je ne suis pas sans argent. J’avais trente sous en partant de Paris, et il m’en reste encore dix… Du pain me suffit, et elle, la pauvre mignonne, ne peut même plus boire du lait… J’ai bien de quoi aller jusqu’au départ, et si elle guérit, oh ! nous serons riches, riches, riches !

Elle s’était penchée, elle regardait, à la lumière vacillante de la lanterne voisine, le blanc visage de Rose, dont un petit souffle entr’ouvrait les lèvres.

— Voyez donc comme elle dort !… N’est-ce pas, monsieur l’abbé, que la sainte Vierge aura pitié et qu’elle la guérira ? Nous n’avons plus qu’un jour, mais je ne veux pas désespérer ; et je vais prier encore toute la nuit, sans bouger de cette place… C’est pour demain, il faut vivre jusqu’à demain.

Une infinie pitié envahissait Pierre, qui s’en alla, craignant de pleurer, lui aussi.

— Oui, oui, ma pauvre femme, espérez.

Et il la laissa au fond de la vaste salle déserte et nauséabonde, parmi la débandade des bancs, immobilisée dans sa passion douloureuse de mère, au point de retenir son souffle, de crainte que le tumulte de sa poitrine ne réveillât la petite malade. Crucifiée, elle priait, la bouche close, ardemment.

Lorsque Pierre revint près de Marie, elle lui demanda vivement :

— Eh bien ! ces roses ?… Est-ce qu’il y en a par ici ?