Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/336

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mortes tant pleurées. Le cœur avait emporté la raison, l’homme vieux et seul ne vivait plus que de l’illusion de revivre, au paradis, où l’on se retrouve. Et le malaise du jeune prêtre en fut accru. Devrait-il donc attendre de vieillir et d’endurer une souffrance égale, pour trouver enfin un refuge dans la foi ?

Ils continuèrent à marcher, à s’éloigner de la ville, le long du Gave. Ils étaient comme bercés par ces eaux claires, roulant sur des cailloux, entre des berges plantées d’arbres. Et ils se taisaient toujours, allant d’un pas égal, perdu chacun dans sa tristesse.

— Et Bernadette, demanda tout d’un coup Pierre, l’avez-vous connue ?

Le docteur leva le front.

— Bernadette… Oui, oui, je l’ai vue une fois, plus tard.

Il retomba un instant dans son silence, puis il causa.

— Vous comprenez, en 1858, au moment des apparitions, j’avais trente ans, j’étais à Paris, jeune médecin, ennemi de tout surnaturel, et je ne songeais guère à revenir dans mes montagnes, pour voir une hallucinée… Mais, cinq ou six ans plus tard, vers 1864, j’ai passé par ici, et j’ai eu la curiosité de rendre une visite à Bernadette, qui était encore à l’Hospice, chez les sœurs de Nevers.

Pierre se rappela que son désir de compléter son enquête sur Bernadette, était une des raisons de son voyage à Lourdes. Et qui savait si la grâce ne lui viendrait pas de l’humble et adorable fille, le jour où il serait convaincu de la mission de pardon divin qu’elle avait remplie sur la terre ? Il lui suffirait peut-être de la mieux connaître, de se persuader qu’elle était bien la sainte et l’élue.

— Parlez-moi d’elle, je vous en prie. Dites-moi tout ce que vous savez.