Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/335

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dans la foi, toute la souffrance de son effort inutile.

— Ah ! mon pauvre enfant ! murmura-t-il.

Puis, paternellement :

— Eh bien ! puisque vous vous promenez, voulez-vous que nous nous promenions ensemble ? Je descendais justement de ce côté, au bord du Gave… Venez donc, et vous verrez, au retour, quel horizon merveilleux !

Lui, chaque matin, marchait ainsi pendant deux heures, toujours seul, fatiguant son deuil. Il allait d’abord, dès son lever, s’agenouiller au cimetière sur la tombe de sa femme et de sa fille, qu’il garnissait de fleurs, en toutes saisons. Et il battait ensuite les chemins, emportait ses larmes, ne rentrait déjeuner que brisé de fatigue.

D’un geste, Pierre avait accepté. Tous deux descendirent la route en pente, côte à côte, sans une parole. Longtemps, ils se turent. Ce matin-là, le docteur paraissait plus accablé que de coutume, comme si la causerie avec ses chères mortes lui eût fait saigner le cœur davantage. Dans son visage pâle, encadré de cheveux blancs, son nez d’aigle s’abaissait, tandis que des larmes noyaient encore ses yeux. Et il faisait si bon, si doux, au grand soleil, par cette admirable matinée ! Maintenant, la route suivait le bord du Gave, sur la rive droite, de l’autre côté de la ville nouvelle. On apercevait les jardins, les rampes, la Basilique. Puis, ce fut la Grotte qui apparut, en face, avec le braisillement continu de ses cierges, que le grand jour pâlissait.

Le docteur Chassaigne, qui avait tourné la tête, fit un signe de croix. Pierre ne comprit pas d’abord. Puis, quand il eut vu la Grotte à son tour, il regarda avec surprise son vieil ami, il retomba à son étonnement de l’avant-veille, devant cet homme de science, athée et matérialiste, que la douleur avait foudroyé et qui croyait à présent, pour l’unique joie de revoir dans une autre vie ses chères