Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/379

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malades, portant la carte qui les hospitalisait, ou bien les quelques personnes munies d’une autorisation spéciale. Ils se contentaient de soulever la corde, puis la tendaient de nouveau derrière les élus, sans écouter aucune supplication. Même ils se montraient un peu rudes, glissant au plaisir d’user de cette autorité, dont ils étaient investis pour un jour. À la vérité, on les bousculait fort, et ils devaient se soutenir les uns les autres, résister de toute la solidité de leurs reins, pour ne pas être emportés.

Alors, pendant que les bancs, devant la Grotte, et le vaste espace réservé se remplissaient de malades, de petites voitures, de brancards, la foule, la foule immense roula aux alentours. Elle partait de la place du Rosaire, elle se perdait au fond de la promenade, le long du Gave ; et, sur toute la longueur, le trottoir était noir de monde, une vague humaine si dense, que la circulation s’y trouvait arrêtée. Sur le parapet, une ligne interminable de femmes assises, quelques-unes même debout, afin de mieux voir, faisaient miroiter au soleil la soie de leurs ombrelles, des soies claires, d’une gaieté de fête. On avait voulu conserver une allée libre, pour amener les malades ; mais, continuellement, elle était envahie, obstruée, de sorte que les voitures et les brancards restaient en chemin, noyés, perdus, jusqu’à ce qu’un brancardier les dégageât. C’était, cependant, un grand piétinement de troupeau docile, une foule d’une innocence, d’une douceur d’agneaux, dont on n’avait à combattre que l’involontaire poussée, l’aveugle masse roulant vers la clarté des cierges. Jamais aucun accident n’était arrivé, malgré l’excitation qui peu à peu montait et la jetait au délire déréglé de la foi.

Mais, de nouveau, le baron Suire se fraya un passage.

— Berthaud ! Berthaud ! veillez donc à ce que le défilé soit plus lent !… Il y a des femmes et des enfants qu’on étouffe.