Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/384

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prêtres, les gens déshabillés avec les gens vêtus, sous le plein jour aveuglant.

Et toutes les maladies y étaient, l’affreux défilé qui, deux fois par jour, sortait des hôpitaux pour traverser Lourdes épouvanté. Des têtes mangées par l’eczéma, des fronts couronnés de roséole, des nez et des bouches dont l’éléphantiasis avait fait des groins informes. Puis, des hydropiques, gonflées comme des outres, des rhumatisantes aux mains tordues, aux pieds enflés, pareils à des sacs bourrés de chiffons, une hydrocéphale dont le crâne énorme, trop lourd, se renversait en arrière. Puis, des phtisiques, tremblant la fièvre, épuisées de dysenterie, la peau livide, d’une maigreur de squelette. Puis, les difformités des contractures, les tailles déjetées, les bras retournés, les cous plantés de travers, les pauvres êtres cassés et broyés, immobilisés en des postures de pantins tragiques. Puis, de tristes filles rachitiques étalant leur teint de cire, leur nuque frêle, rongée d’humeurs froides ; des femmes jaunes, hébétées, dans la stupeur douloureuse des misérables que le cancer dévore ; d’autres blémissantes, n’osant bouger, redoutant le choc des tumeurs, dont la pesante angoisse les étouffait. Sur les bancs, des sourdes ahuries n’entendaient rien, chantaient quand même ; des aveugles, la tête haute et droite, restaient, pendant des heures, tournées vers la statue de la Vierge, qu’elles ne pouvaient voir. Et il y avait encore la folle, frappée d’imbécillité, le nez emporté par quelque chancre, qui riait d’un rire terrifiant, avec sa bouche vide et noire ; et il y avait l’épileptique qu’une récente crise avait laissée d’une pâleur de mort, l’écume aux coins des lèvres.

Mais la maladie, la souffrance n’importaient plus, depuis que tous étaient là, assis ou couchés, les yeux fixés sur la Grotte. Les pauvres visages décharnés, couleur de terre, se transfiguraient, se mettaient à brûler d’espoir. Des