Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/389

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La peur la laissait tremblante, avec des yeux hagards, dans sa face blême. Elle joignit de nouveau les mains, elle supplia la sainte Vierge de la sauver des autres crises, de la guérir ; tandis que les Vigneron, l’homme et la femme, braves gens, retombaient au vœu sourd de bonheur qu’ils venaient faire à Lourdes : une vieillesse heureuse, bien méritée par vingt ans d’honnêteté, une fortune solide qu’ils iraient sur le tard manger à la campagne, en cultivant les fleurs. Le petit Gustave, qui avait tout vu, tout remarqué, de ses yeux vifs, avec son intelligence affinée par la souffrance, ne priait pas, souriait au vide, de son sourire perdu et énigmatique. À quoi bon prier ? il savait que la sainte Vierge ne le guérirait pas, et qu’il mourrait.

Mais M. Vigneron ne pouvait rester longtemps sans s’occuper de ses voisins. Au milieu de l’allée centrale, encombrée, on avait déposé madame Dieulafay, venue en retard ; et il s’émerveillait de ce luxe, de cette sorte de cercueil capitonné de soie blanche, où la jeune femme gisait, vêtue elle-même d’un peignoir rose, garni de valenciennes. Le mari, en redingote, et la sœur, en toilette noire, d’une simple et merveilleuse élégance, restaient debout ; tandis que l’abbé Judaine, agenouillé près de la malade, achevait une fervente prière.

Lorsque le prêtre se releva, M. Vigneron lui fit une petite place sur le banc, à côté de lui. Il se permit ensuite de l’interroger.

— Eh bien ! monsieur le curé, cette pauvre jeune femme éprouve-t-elle un peu de mieux ?

L’abbé Judaine eut un geste d’infinie tristesse.

— Hélas ! non… J’étais plein d’un si grand espoir ! C’est moi qui ai décidé la famille à venir. La sainte Vierge m’avait fait, il y a deux ans, une grâce tellement extraordinaire en guérissant mes pauvres yeux perdus, que je comptais obtenir d’elle encore une faveur…