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Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/390

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Enfin, je ne veux pas désespérer. Nous avons jusqu’à demain.

M. Vigneron examinait ce visage de femme, dont on retrouvait l’ovale pur, les yeux admirables, maintenant anéanti, couleur de plomb, pareil au masque de la mort, parmi les dentelles.

— C’est vraiment bien triste, murmura-t-il.

— Et si vous l’aviez vue, l’été dernier ! reprit le prêtre. Ils ont leur château à Saligny, ma paroisse, et je dînais souvent chez eux… Je ne puis regarder sans tristesse sa sœur aînée, madame Jousseur, cette dame en noir qui est là ; car elle lui ressemble beaucoup, et la malade était plus jolie encore, une des beautés de Paris. Comparez, voyez cet éclat, cette grâce souveraine, à côté de cette pauvre créature pitoyable… Cela serre le cœur, quelle leçon affreuse !

Il se tut un instant. Le saint homme qu’il était si naturellement, sans passions aucunes, sans intelligence vive qui le dérangeât dans sa foi, montrait une admiration naïve pour la beauté, la richesse, la puissance, qu’il n’avait jamais enviées. Cependant, il osa exprimer un doute, un scrupule qui troublait sa sérénité habituelle.

— Moi, j’aurais voulu qu’elle vînt ici plus simplement, sans tout cet appareil de luxe, parce que la sainte Vierge préfère les humbles… Mais je comprends très bien qu’il y a des nécessités sociales. Et puis, son mari et sa sœur l’aiment tant ! Songez qu’ils se sont résignés à quitter, lui ses affaires, elle ses plaisirs, si bouleversés à l’idée de la perdre, qu’ils ont toujours ces yeux humides, cet air éperdu que vous leur voyez. Aussi faut-il les excuser de lui donner la joie d’être belle jusqu’à la dernière heure.

D’un hochement de tête, M. Vigneron approuvait. Ah ! ce n’étaient pas les gens riches qui avaient le plus de chance, à la Grotte ! Des servantes, des paysannes, des