Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/437

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un besoin de prière et d’adoration, c’était que tout son être défaillait, sous la tourmente morale qui venait de le briser. Il avait la soif torturante de voir clair en lui. Ah ! que ne pouvait-il s’enfoncer plus profondément encore dans le néant des choses, réfléchir, comprendre, se calmer enfin !

Et il vécut une agonie affreuse. Il tâchait de recommencer les minutes, depuis que Marie, tout d’un coup soulevée de sa couche de misère, avait jeté son cri de résurrection. Pourquoi donc, malgré sa joie fraternelle à la revoir debout, avait-il dès lors éprouvé un atroce malaise, comme si le plus mortel malheur le frappait ? Était-il donc jaloux de la grâce divine ? Souffrait-il de ce que la Vierge, en la guérissant, l’avait oublié, lui dont l’âme était si malade ? Il se souvenait du dernier délai qu’il s’était donné, du rendez-vous suprême qu’il avait fixé à la foi, au moment où le Saint-Sacrement passerait, si Marie était guérie ; et elle était guérie, et il ne croyait toujours pas, et désormais il n’avait plus d’espérance, car il ne croirait jamais plus. Là saignait la plaie vive. Cela éclatait avec une cruauté, une certitude aveuglante : elle était sauvée, il était perdu. Ce prétendu miracle qui la réveillait à la vie, venait d’achever en lui la ruine de toute croyance au surnaturel. Ce qu’il avait rêvé un instant de chercher encore et de retrouver peut-être à Lourdes, la foi naïve, la foi heureuse du petit enfant, n’était plus possible, ne refleurirait pas, après cet écroulement du prodige, cette guérison que Beauclair lui avait annoncée, qui s’était réalisée ensuite de point en point. Jaloux, oh ! non, mais dévasté, mortellement triste, de rester ainsi tout seul, dans le désert glacé de son intelligence, à regretter l’illusion, le mensonge, le divin amour des simples d’esprit, dont son cœur n’était plus capable.

Un flot d’amertume étouffa Pierre, des larmes jaillirent de ses yeux. Il avait glissé sur les dalles, anéanti d’angoisse.