Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/438

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Et il se rappela cette délicieuse histoire, depuis le jour où Marie, qui avait deviné la torture de son doute, s’était passionnée pour sa conversion, lui prenant la main dans l’ombre, la gardant entre les siennes, en balbutiant qu’elle prierait pour lui, oh ! de toute son âme. Elle s’oubliait, elle suppliait la sainte Vierge de sauver son ami plutôt qu’elle, si elle n’avait qu’une grâce à obtenir de son divin Fils. Puis, ce fut un autre souvenir, les heures adorables qu’ils avaient passées ensemble sous l’épaisse nuit des arbres, pendant le défilé de la procession aux flambeaux. Là encore, ils avaient prié l’un pour l’autre, ils s’étaient perdus l’un dans l’autre, avec un si ardent désir de leur bonheur mutuel, qu’ils avaient touché un instant le fond de l’amour qui se donne et qui s’immole. Et leur longue tendresse trempée de larmes, la pure idylle de leur souffrance aboutissait à cette brutale séparation, elle sauvée, radieuse au milieu des chants de la Basilique triomphante, lui perdu, sanglotant de misère, écrasé au fond des ténèbres de la Crypte, dans une solitude glacée de tombe. C’était comme s’il venait de la perdre une seconde fois, pour toujours.

Brusquement, Pierre sentit le coup de couteau que cette pensée lui donnait en plein cœur. Il comprit enfin son mal, ce fut une clarté subite qui éclaira la crise terrible où il se débattait. Une première fois, il avait perdu Marie, le jour où il s’était fait prêtre, en se disant qu’il pouvait bien n’être plus un homme, puisqu’elle-même ne serait jamais femme, frappée dans son sexe d’une maladie incurable. Et voilà qu’elle était guérie, qu’elle redevenait femme, voilà qu’il l’avait tout d’un coup revue très forte, très belle, et vivante, et désirable, et féconde ! Lui était mort, ne pouvait redevenir un homme. Jamais plus il ne soulèverait la pierre tombale qui écrasait, qui scellait sa chair. Elle s’échappait seule, elle le laissait dans la terre froide. C’était le vaste monde qui se rouvrait devant elle,