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Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/439

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le bonheur souriant, l’amour qui rit sur les routes ensoleillées, un mari, des enfants sans doute. Tandis que lui, comme enseveli jusqu’aux épaules, ne gardait de libre que son cerveau, pour souffrir davantage. Elle était encore à lui, lorsqu’elle n’était à aucun autre, et il n’agonisait si abominablement, depuis une heure, que de cet arrachement définitif, qui la séparait de lui, cette fois, à jamais.

Alors, une rage secoua Pierre. Il fut tenté de remonter, de crier la vérité à Marie. Le miracle, mensonge ! la bonté secourable d’un Dieu tout-puissant, illusion pure ! La nature seule avait agi, la vie encore une fois venait de vaincre. Et il aurait donné des preuves, il lui aurait montré la vie unique souveraine, refaisant de la santé avec toutes les souffrances d’ici-bas. Puis, ils seraient partis ensemble, ils seraient allés très loin, très loin, pour être heureux. Mais une terreur soudaine l’envahissait. Eh quoi ? toucher à cette petite âme blanche, tuer en elle la croyance, l’emplir de ces ruines de la foi, dont lui-même était ravagé ! Cela lui apparut soudain comme un odieux sacrilège. Ensuite, il se serait fait horreur, il aurait cru l’avoir assassinée, s’il se reconnaissait un jour incapable de lui rendre un bonheur égal. Peut-être ne le croirait-elle pas. D’ailleurs, épouserait-elle jamais un prêtre parjure, elle qui garderait l’inoubliable douceur d’avoir été guérie dans l’extase ? Tout cela lui apparut fou, monstrueux, salissant. Déjà, sa révolte s’apaisait, il ne gardait qu’une infinie lassitude, une sensation brûlante de plaie inguérissable, son pauvre cœur meurtri et arraché.

Puis, dans son abandon, dans le vide où il roulait, une lutte suprême l’angoissa. Qu’allait-il faire ? Il aurait voulu fuir, ne plus revoir Marie, devenu lâche devant la souffrance. Car il comprenait bien qu’il lui faudrait mentir maintenant, puisqu’elle le croyait sauvé avec elle, converti, guéri de son âme, comme elle était guérie de son corps.