Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/450

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recule devant un scandale religieux. Songez au tapage déplorable que cela soulèverait ; et ceux qui s’indignent comme moi, en sont réduits à se taire, à mieux aimer faire le silence.

Et il ajouta, il conclut :

— C’est une grande tristesse, mon cher enfant, que l’ingratitude et la rapacité des hommes. Chaque fois que je viens ici, dans cette misère noire, j’ai le cœur si gros, que je ne peux retenir mes larmes.

Puis, il cessa de parler, ni l’un ni l’autre ne prononça plus un mot, envahis tous deux par la mélancolie poignante qui se dégageait de la pièce. Les ténèbres les baignaient, l’humidité leur donnait un frisson, au milieu du délabrement des murs, de la poussière des vieilles loques entassées. Et l’idée leur était revenue que, sans Bernadette, rien n’aurait existé des prodiges qui avaient fait de Lourdes une ville unique au monde. C’était à sa voix que la source miraculeuse avait jailli, que la Grotte s’était ouverte, flamboyante de cierges. Des travaux immenses s’exécutaient, des églises nouvelles poussaient du sol, des rampes colossales menaient jusqu’à Dieu, toute une cité neuve se bâtissait comme par prodige, avec ses jardins, ses promenades, ses quais, ses ponts, ses boutiques, ses hôtels. Et les peuples les plus lointains de la terre accouraient en foule, et la pluie des millions tombait si drue, si abondante, que la jeune cité semblait devoir grandir indéfiniment, emplir toute la vallée, d’un bout à l’autre des montagnes. Si l’on supprimait Bernadette, plus rien n’existait, l’extraordinaire aventure rentrait dans le néant, le vieux Lourdes inconnu dormait encore son sommeil séculaire, au pied du Château. Bernadette était l’ouvrière unique, la créatrice, et cette chambre d’où elle était partie, le jour où elle avait vu la Vierge, ce berceau même du miracle, de la merveilleuse fortune future, se trouvait dédaigné, laissé en proie à la vermine, bon seulement à