Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/477

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enfin réalisable, il eut un de ses sourires énigmatiques, d’une mélancolie aiguisée de malice.

— Eh bien ! père, et moi ?

M. Vigneron, réveillé comme en sursaut, s’agita, parut d’abord ne pas comprendre.

— Toi, mon petit ?… Toi, tu seras avec nous, parbleu !

Mais Gustave continuait à le regarder fixement, profondément, sans cesser de sourire, de ses lèvres fines, si navrées.

— Oh ! crois-tu ?

— Certainement, je le crois !… Tu seras avec nous, ce sera très gentil d’être avec nous…

Gêné, balbutiant, M. Vigneron, qui ne trouvait pas les mots convenables, demeura glacé, lorsque son fils haussa ses maigres épaules, d’un air de philosophique dédain.

— Oh ! non !… Moi, je serai mort.

Et le père, terrifié, lut tout d’un coup dans le regard profond de l’enfant, un regard d’homme très vieux, très savant en toutes matières, qui connaissait les abominations de la vie pour les avoir souffertes. Surtout, ce qui l’effarait, c’était la soudaine certitude que cet enfant l’avait toujours pénétré lui-même jusqu’au fond de l’âme, au delà de ce qu’il n’osait s’avouer. Il se rappelait, dès le berceau, les yeux du petit malade fixés sur les siens, ces yeux que la souffrance rendait si aigus, qu’elle douait sans doute d’une force de divination extraordinaire, fouillant les pensées inconscientes, dans l’obscurité des crânes. Et, par un singulier contre-coup, les choses qu’il ne s’était jamais dites, il les retrouvait toutes à cette heure dans les yeux de son enfant, il les voyait, les lisait malgré lui. L’histoire de sa longue cupidité se déroulait, sa colère d’avoir un fils si chétif, son angoisse à l’idée que la fortune de madame Chaise reposait sur une existence si fragile, son âpre souhait qu’elle se hâtât de mourir, pour que le petit fût encore là, de façon à lui assurer