Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/481

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laissait pas même se mettre seule à une fenêtre. On l’avait battue, on s’était acharné contre ses goûts, ses envies, ses faiblesses de femme. Elle savait qu’au dehors son mari entretenait des filles ; et, si elle souriait à un parent, si elle avait une fleur au corsage, en un jour rare de gaieté, il arrachait la fleur, entrait dans des rages jalouses, lui brisait les poignets, avec d’affreuses menaces. Pendant des années, elle avait vécu dans cet enfer, espérant quand même, ayant en elle un tel flot de vie, un si ardent besoin de tendresse, qu’elle attendait le bonheur, croyant toujours le voir entrer, au moindre souffle.

— Monsieur l’abbé, je vous jure que je n’ai pas pu ne pas faire ce que j’ai fait. J’étais trop malheureuse, tout mon être brûlait de se donner… Quand mon ami, la première fois, m’a dit qu’il m’aimait, j’ai laissé tomber ma tête sur son épaule ; et c’était fini, j’étais sa chose pour toujours. Il faut comprendre ces délices, être aimée, ne trouver chez son ami que des gestes de caresse, des paroles de douceur, la continuelle préoccupation de se montrer prévenant et aimable ; et savoir qu’il pense à vous, qu’il y a quelque part un cœur où vous vivez ; et n’être que vous deux, n’être plus qu’un, s’oublier dans une étreinte où tout se fond, les corps et les âmes !… Ah ! si c’est un crime, monsieur l’abbé, je ne puis en avoir le remords. Je ne dis même pas qu’on m’y a poussée, je dis que je l’ai commis aussi naturellement que je respire, parce qu’il était nécessaire à ma vie.

Elle avait porté la main à ses lèvres, comme pour donner un baiser au monde. Et Pierre se sentit bouleversé, devant cette amoureuse, qui était la passion, l’éternel désir. Puis, une immense pitié commença à naître en lui.

— Pauvre femme ! murmura-t-il.

— Ce n’est pas au prêtre que je me confesse, reprit-