Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/483

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de votre chair s’en allait, et se dire que de longs jours, que de longues nuits se passeraient, sans qu’on pût même se voir !

Pierre, le cœur éperdu à l’évocation de ce tourment de de la chair, répéta :

— Pauvre femme !

— Et, monsieur l’abbé, continua-t-elle, songez à l’enfer dans lequel je vais rentrer. Pendant des semaines, pendant des mois, mon ciel se ferme, je vis mon martyre, sans une plainte… C’est fini encore une fois d’être heureuse, en voilà pour un an. Grand Dieu ! trois pauvres jours, trois pauvres nuits par an, n’est-ce pas à devenir folle, de ma violence à en jouir et de ma patience à attendre qu’ils reviennent ?… Je suis si malheureuse, monsieur l’abbé, ne croyez-vous pas tout de même que je suis une honnête femme ?

Il était profondément ému par ce grand élan, par cette fougue de passion et de douleur sincères. Il sentait là le souffle de l’universel désir, une flamme souveraine qui purifiait tout. Sa pitié déborda, il fut le pardon.

— Madame, je vous plains et je vous respecte infiniment.

Alors, elle ne parla plus, elle le regarda de ses grands yeux, obscurcis de larmes. Puis, d’une brusque étreinte, elle lui saisit les deux mains, les tint serrées entre ses doigts brûlants. Et elle partit, elle disparut au fond du couloir, avec sa légèreté d’ombre.

Mais, lorsqu’elle ne fut plus là, Pierre souffrit davantage de sa présence. Il ouvrit toute large la fenêtre, pour chasser l’odeur d’amour qu’elle avait laissée. Déjà, le dimanche, quand il s’était aperçu qu’une femme vivait cachée dans la chambre voisine, il avait eu cette terreur pudique, en se disant qu’elle était la revanche de la chair, au milieu de l’exaltation mystique de Lourdes l’immaculée. Et, maintenant, cette épouvante revenait, il