Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/484

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comprenait la toute-puissance, l’invincible volonté de la vie qui veut être. L’amour était plus fort que la foi, peut-être n’y avait-il de divin que la possession. S’aimer, s’appartenir malgré tout, faire de la vie, continuer la vie, n’était-ce pas l’unique but de la nature, en dehors des polices sociales et religieuses ? Un instant, il eut conscience de l’abîme : sa chasteté était son dernier soutien, la dignité même de son existence manquée de prêtre incroyant. Il comprenait qu’après avoir cédé à sa raison, s’il cédait à sa chair, il serait perdu. Tout son orgueil de pureté, toute sa force, qu’il avait mise dans son honnêteté professionnelle, lui revint ; et il se jura de nouveau de n’être pas un homme, puisqu’il s’était volontairement retranché du nombre des hommes.

Sept heures sonnèrent. Pierre ne se recoucha pas, se lava à grande eau, heureux de cette eau fraîche qui achevait de calmer sa fièvre. Comme il finissait de s’habiller, la pensée de M. de Guersaint se réveilla en lui, anxieuse, à un bruit de pas qu’il entendit dans le corridor. On s’arrêta devant sa porte, on frappa ; et il alla ouvrir, soulagé.

Mais il eut un cri de vive surprise.

— Comment, c’est vous ! Comment, vous voilà déjà levée, à courir les rues, à monter voir les gens !

Marie était debout sur le seuil, souriante. Derrière elle, sœur Hyacinthe, qui l’accompagnait, souriait aussi de ses jolis yeux candides.

— Ah ! mon ami, dit la jeune fille, je n’ai pas pu rester couchée. Dès que j’ai vu le soleil, j’ai sauté du lit, tant j’avais besoin de marcher, de courir, de sauter comme une enfant… Et j’ai tant fait, j’ai tant supplié, que ma sœur a été assez aimable pour sortir avec moi… Je crois bien que je m’en serais allée par la fenêtre, si l’on avait fermé la porte.

Pierre les avait fait entrer, et une émotion indicible le