Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/564

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coucher ; mais, la face toujours dans son miroir, elle faisait auparavant une grande toilette de nuit, se nouait sur la tête le fichu noir qui lui avait servi à cacher sa plaie, regardait si elle était belle ainsi, avec sa lèvre désenflée. Et, de nouveau, Pierre s’étonnait de cette plaie en voie de guérison, sinon guérie, de ce visage de monstre qu’on pouvait maintenant regarder sans horreur. La mer des incertitudes recommençait. N’était-ce même pas un vrai lupus ? n’était-ce qu’une sorte inconnue d’ulcère, d’origine hystérique ? Ou bien fallait-il admettre que certains lupus mal étudiés, provenant de la mauvaise nutrition de la peau, pouvaient être amendés par une grande secousse morale ? C’était un miracle, à moins que, dans trois semaines, dans trois mois ou dans trois ans, il ne reparût, comme la phtisie de la Grivotte.

Il était dix heures, tout le wagon s’ensommeillait, quand on quitta Lamothe. Sœur Hyacinthe, qui avait gardé sur ses genoux la tête de la Grivotte assoupie, ne put se lever ; et elle se contenta de dire, pour la forme, d’une voix légère, qui se perdit dans le grondement des roues :

— Le silence, le silence, mes enfants !

Mais quelque chose continua de remuer, au fond d’un compartiment voisin, un bruit qui l’agaçait et qu’elle finit par comprendre.

— Sophie, qu’est-ce que vous avez donc à donner des coups de pied dans la banquette ? Il faut dormir, mon enfant.

— Je ne donne pas de coups de pied, ma sœur. C’est une clef qui roulait sous mon soulier.

— Comment, une clef ? Passez-la-moi.

Elle l’examina : une très pauvre, une très vieille clef, noirâtre, amincie et polie par l’usage, dont l’anneau, ressoudé, gardait la cicatrice. Tout le monde s’était fouillé, personne n’avait perdu de clef.