Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/574

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans son grand chagrin. Non, non ! il ne troublerait pas cette âme, il ne lui enlèverait pas sa croyance, qui, peut-être un jour, serait son unique soutien, au milieu des douleurs de ce monde. On ne peut demander encore ni aux enfants ni aux femmes l’héroïsme amer de la raison. Il n’en avait pas la force, il pensait même n’en avoir pas le droit. Cela lui aurait paru un viol, un meurtre abominable. Et il ne parla point, ses larmes coulèrent plus brûlantes, dans cette immolation de son amour, le sacrifice désespéré de son bonheur à lui, pour qu’elle restât candide, ignorante et joyeuse.

— Oh ! Marie, que je suis malheureux ! Il n’y a pas sur les routes, il n’y a pas dans les bagnes de malheureux qui soient plus malheureux que moi !… Oh ! Marie, si vous saviez, si vous saviez comme je suis malheureux !

Elle fut éperdue, elle le saisit entre ses bras tremblants, voulut le consoler d’une fraternelle étreinte. À ce moment, la femme qui s’éveillait en elle devina tout, sanglota elle aussi de toutes les volontés humaines et divines qui les séparaient. Elle n’avait jamais encore songé à ces choses, elle entrevoyait soudain la vie avec ses passions, ses luttes, ses souffrances ; et elle cherchait ce qu’elle allait dire pour apaiser un peu ce cœur saignant, et elle balbutiait très bas, navrée de ne rien trouver d’assez doux :

— Je sais, je sais…

Puis, elle trouva ; et, comme si ce qu’elle avait à dire ne pouvait être entendu que des anges, elle s’inquiéta, elle regarda autour d’elle, dans le wagon. Mais il semblait que le sommeil s’y fût alourdi encore. Son père dormait toujours, avec son innocence de grand enfant. Pas un des pèlerins, pas un des malades n’avait bougé, dans le rude bercement qui les emportait. Sœur Hyacinthe elle-même, cédant à l’écrasante fatigue, venait de fermer les paupières, après avoir, à son tour, tiré l’écran, sur la