Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/63

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d’enfant encore, et elle regrettait parfois, avec un emportement comique, d’avoir méconnu sa vocation de sœur de charité.

— Ah ! ma chérie, dit-elle vivement à Raymonde, ne plaignez donc pas votre mère d’être prise par ses malades. Au moins, ça l’occupe.

Et, s’adressant à madame de Jonquière :

— Si vous saviez comme nous trouvons les heures longues, dans notre beau compartiment de première ! On ne peut pas même travailler à un petit ouvrage, c’est défendu… J’avais prié qu’on me mît avec des malades ; mais toutes les places étaient données, et je vais en être réduite à tâcher de dormir dans mon coin, cette nuit.

Elle riait, elle ajouta :

— N’est-ce pas ? madame Volmar, nous dormirons, puisque la conversation a l’air de vous fatiguer.

Celle-ci, qui devait avoir dépassé la trentaine, très brune, avec un visage long, les traits fins et tirés, avait des yeux larges, magnifiques, des brasiers sur lesquels, par moments, passait, comme un voile, une moire qui semblait les éteindre. Elle n’était point belle au premier coup d’œil ; et, à mesure qu’on la regardait, elle devenait troublante, conquérante, désirable jusqu’à la passion et à l’inquiétude. D’ailleurs, elle s’efforçait de disparaître, très modeste, s’effaçant, s’éteignant, toujours en noir et sans un bijou, bien qu’elle fût la femme d’un marchand de diamants et de perles.

— Oh ! moi, murmura-t-elle, pourvu qu’on ne me bouscule pas trop, je suis contente.

En effet, elle était allée déjà deux fois à Lourdes, comme dame auxiliaire, et pourtant on ne la voyait guère là-bas, à l’Hôpital de Notre-Dame des Douleurs, prise d’une telle fatigue, dès son arrivée, qu’elle se trouvait, disait-elle, forcée de garder la chambre.