Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/95

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Oui, c’était bien cela. Si ce train lamentable roulait, roulait toujours, si ce wagon était plein, si les autres étaient pleins ; si la France et le monde, du plus loin de la terre, étaient sillonnés par des trains pareils ; si des foules de trois cent mille croyants, charriant avec elles des milliers de malades, se mettaient en branle d’un bout de l’année à l’autre : c’était que, là-bas, la Grotte flambait dans sa gloire comme un phare d’espoir et d’illusion, comme la révolte et le triomphe de l’impossible sur l’inexorable matière. Jamais roman plus passionnant n’avait été écrit pour exalter les âmes, au-dessus des rudes conditions de l’existence. Rêver ce rêve, là était le grand bonheur ineffable. Les pères de l’Assomption n’avaient vu, d’année en année, s’élargir le succès de leurs pèlerinages, que parce qu’ils vendaient aux peuples accourus de la consolation, du mensonge, ce pain délicieux de l’espérance dont l’humanité souffrante a une continuelle faim, que rien n’apaisera jamais. Et ce n’étaient pas seulement les plaies physiques qui criaient du besoin d’être guéries, tout l’être moral et intellectuel clamait sa misère, dans un désir insatiable de bonheur. Être heureux, mettre la certitude de sa vie dans la foi, s’appuyer jusqu’à la mort sur ce solide bâton de voyage, tel était le désir qui sortait de toutes les poitrines, qui faisait s’agenouiller toutes les douleurs morales, demandant la continuation de la grâce, la conversion des êtres chers, le salut spirituel de soi-même et de ceux qu’on aime. L’immense cri se propageait, montait, emplissait l’espace : être heureux à jamais, dans la vie et dans la mort !

Et Pierre les avait bien vus tous, les souffrants qui l’entouraient, ne plus sentir les cahots des roues, retrouver des forces, à chaque lieue dévorée qui les rapprochait du miracle. Madame Maze, elle-même, devenait bavarde, dans la certitude que la sainte Vierge lui rendrait son mari. Madame Vincent, souriante, berçait doucement la