Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/111

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quelle nudité, quel froid ! et quel abandon, quel déchirement pour un pauvre être de partir ainsi, sans une caresse ! Ah ! mon cœur en a bondi, et il en saigne encore !

Dans son saisissement, Pierre n’eut d’abord qu’un geste de révolte contre l’imbécile cruauté sociale. Était-ce donc le pain, laissé près de ce malheureux, et que celui-ci avait achevé trop goulûment peut-être, après de longs jours d’abstinence ? N’était-ce pas plutôt le dénouement fatal d’une existence finie, usée par le travail et les privations ? Qu’importait, d’ailleurs, la cause ? La mort était venue, avait délivré le misérable.

— Ce n’est pas lui que je plains, murmura-t-il enfin, c’est nous autres, nous tous qui assistons à cela, qui sommes coupables de cette abomination.

Mais, déjà, le bon abbé Rose se résignait, ne voulait que du pardon et de l’espérance.

— Non, non ! mon enfant, la rébellion est mauvaise. Si nous sommes tous coupables, nous ne pouvons qu’implorer Dieu, pour qu’il oublie nos fautes… Je vous avais donné rendez-vous ici, espérant une bonne nouvelle, et c’est moi qui viens vous y apprendre cette chose affreuse… Faisons pénitence, prions.

Et il s’agenouilla sur les dalles, près du pilier, derrière les femmes qui étaient là en prière, noires, indistinctes dans l’ombre. Sa tête blanche s’était courbée, il s’humilia longuement.

Mais Pierre ne pouvait prier, tant la révolte grondait en lui. Il ne plia pas même les genoux, debout et frémissant. Son cœur était comme broyé, ses yeux ardents n’avaient pas une larme. Laveuve mort, là-bas, étendu sur son fumier de guenilles, les mains crispées, dans le désir têtu de se retenir à sa vie de torture, pendant que lui, repris de sa flamme de charité, brûlé d’un zèle d’apôtre, battait Paris afin de lui trouver un lit propre et sauveur pour le soir ! Ah ! l’atroce ironie de cela ! Il devait être