Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux vendus de la Chambre et du Sénat ! » Et, sur les exemplaires du journal, agités comme des étendards, se lisaient ces titres, en caractères énormes. La foule continuait à galoper, sans prêter grande attention, habituée à cette boue, saturée d’infamie. Quelques hommes s’arrêtaient, achetaient le journal, pendant que des filles, descendues en quête d’un dîner, traînaient leurs jupes, attendaient l’amant de hasard, en interrogeant du coin de l’œil la terrasse des cafés. Et ce cri déshonorant des journaux, ce cri qui souillait et souffletait, semblait être le glas dernier de la journée, sonnant les funérailles de la nation, au début de la nuit de plaisir qui commençait.

Alors, Pierre se souvint une fois encore de sa matinée, de cette effrayante maison de la rue des Saules, où s’entassaient tant de misère et tant de souffrance. Il revit la cour fangeuse comme un cloaque, les escaliers nauséabonds, les logements sordides, glacés et nus, des familles se disputant des pâtées dont n’auraient pas voulu les chiens errants, des mères aux mamelles taries promenant des poupons qui hurlaient, des vieux tombés dans des coins ainsi que des bêtes, agonisant de faim dans l’ordure. Et puis, ce fut encore sa journée, la magnificence, la quiétude, la joie des salons qu’il avait traversés, tout l’éclat insolent du Paris financier, du Paris politique et mondain. Et il aboutissait enfin, au crépuscule, à ce Paris Gomorrhe, à ce Paris Sodome, s’allumant pour la nuit, pour les abominations de cette nuit complice, dont la cendre fine, peu à peu, noyait l’océan des toitures. Et l’exécrable monstruosité de cela clamait sous le ciel pâle, où scintillaient les premières étoiles, pures et tremblantes.

Pierre eut un grand frisson devant cet amas des iniquités et des douleurs, tout ce qui se passait en bas dans la misère et dans le crime, tout ce qui se passait en haut dans la richesse et dans le vice. La bourgeoisie, au