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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/121

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Pierre se rappela ce que madame Théodore lui avait conté le matin. Son frère Guillaume, touché de tant de misère, s’était arrangé pour occuper chez lui Salvat pendant quelques jours. Et cela expliquait l’air d’intérêt avec lequel il semblait le questionner, tandis que le mécanicien, l’air troublé de la rencontre, piétinait, comme ayant hâte de reprendre sa course dolente. Un moment, Guillaume parut s’apercevoir de ce trouble, des réponses sans doute embarrassées qu’il obtenait. Cependant, il quitta l’ouvrier. Mais, presque tout de suite, il se retourna, il le regarda s’éloigner de son allure harassée et têtue, au travers de la foule. Et les réflexions qu’il fit alors durent être bien graves et bien pressantes, car il se décida tout d’un coup à revenir sur ses pas, à le suivre de loin, comme pour s’assurer de la direction qu’il prenait.

Gagné par une inquiétude croissante, Pierre avait regardé la scène. L’attente nerveuse où il était d’un grand malheur indéterminé, le soupçon ou venaient de le jeter les rencontres successives, inexplicables de Salvat, la surprise de voir maintenant son frère mêlé à l’aventure, l’avaient envahi tout entier d’un besoin de savoir, d’assister, d’empêcher peut-être. Il n’hésita pas, lui-même suivit les deux hommes, prudemment.

Ce fut pour lui un émoi nouveau, lorsque Salvat, puis son frère Guillaume, tournèrent brusquement dans la rue Godot-de-Mauroy. Quel destin le ramenait dans cette rue, où il avait eu la hâte fiévreuse de revenir, d’où la mort de Laveuve l’avait seule écarté ? Et son saisissement grandit encore, lorsque, après l’avoir perdu un instant, il retrouva Salvat debout sur le trottoir, en face de l’hôtel Duvillard, à la place même où, le matin, il avait cru le reconnaître. Justement, la porte cochère de l’hôtel était grande ouverte, à la suite d’une réparation du pavé, sous le porche ; et, les ouvriers partis, ce vaste porche demeurait béant, empli par la nuit qui tombait. La rue