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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/13

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oublié et mourant de faim. Un schisme ne peut réussir dans un peuple qui ne croit plus, qui s’est désintéressé de l’Église, pour mettre ailleurs son espoir. C’était tout le catholicisme, c’était même tout le christianisme qui allait être emporté, car l’Évangile, en dehors de quelques maximes morales, n’était plus un code social possible. Et cette certitude augmentait son tourment, les jours où la soutane pesait plus lourde à ses épaules, où il finissait par se mépriser, de célébrer ainsi le mystère divin de cette messe, qui était devenue pour lui le geste d’une religion morte.

Pierre, qui avait empli le calice à demi du vin des burettes, se lava les mains et aperçut de nouveau la mère, avec son visage d’ardente supplication. Alors, il pensa que c’était pour elle, dans une pensée charitable d’homme lié par un serment, qu’il était resté prêtre, prêtre sans croyance nourrissant du pain de l’illusion la croyance des autres. Mais cette héroïque attitude, ce devoir hautain où il s’enfermait, n’allait plus pour lui sans une angoisse croissante. La simple probité ne lui commandait-elle pas de jeter la soutane, de retourner parmi les hommes ? Sa situation fausse, à certaines heures, l’emplissait du dégoût de son héroïsme inutile, et il se demandait de nouveau s’il n’était pas lâche et dangereux de laisser vivre les foules dans leur superstition. Certes, le mensonge d’un Dieu de justice et de vigilance, d’un paradis futur où étaient rachetées toutes les souffrances d’ici-bas, avait longtemps semblé nécessaire aux misères des pauvres hommes ; mais quel leurre, quelle exploitation tyrannique des peuples, et combien il serait plus viril d’opérer les peuples brutalement, en leur donnant le courage de vivre la vie réelle, même dans les larmes ! Déjà, s’ils se détournaient du christianisme, n’était-ce pas qu’ils avaient le besoin d’un idéal plus humain, d’une religion de santé et de joie, qui ne serait pas une