Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/151

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que plus tard. C’était en 1850 que Leroi, un jeune professeur venu de Paris, tombé au lycée de Montauban, avec des idées ardentes, républicain passionné, avait épousé Agathe Dagnan, la dernière des cinq filles d’une pauvre famille protestante, originaire des Cévennes. La jeune madame Leroi était enceinte, lorsque son mari, au lendemain du coup d’État, menacé d’une arrestation, pour des articles violents publiés dans un journal de la ville, avait dû prendre la fuite et se réfugier à Genève ; et c’était là qu’ils avaient eu leur fille Marguerite, en 1852, une délicate enfant. Pendant sept années, jusqu’à l’amnistie de 1859, le ménage s’était débattu dans la gêne, le père ne trouvant que de rares leçons mal payées, la mère retenue par les continuels soins que réclamait la fille. Puis, après le retour en France, à Paris, la mauvaise chance semblait s’être acharnée, l’ancien professeur avait longtemps frappé à toutes les portes, éconduit pour ses opinions, forcé de courir le cachet. Il allait enfin rentrer dans l’Université, lorsqu’un suprême coup de foudre l’avait abattu, une attaque de paralysie, les deux jambes mortes, à jamais cloué sur un fauteuil. Alors était venue la misère noire, toutes sortes de basses besognes, des articles pour les dictionnaires, des copies de manuscrits, des bandes de journaux, dont vivait à peine le ménage, dans un petit logement de la rue Monsieur-le-Prince.

Là-dedans, Marguerite grandissait. Leroi, révolté par l’injustice et la souffrance, incroyant, prophétisait la république vengeresse des folies de l’empire, le règne de la science qui balayerait le Dieu menteur et cruel des dogmes. Agathe, dont la foi protestante avait achevé de sombrer à Genève, devant les pratiques étroites et imbéciles, ne gardait en elle que le levain des anciennes révoltes. C’était elle qui était devenue à la fois la tête et la main de la maison, allant chercher l’ouvrage, le reportant, le faisant elle-même en grande partie, veillant au