Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/162

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s’isoler dans sa besogne. D’abord, le père qui occupait une moitié de la salle avec son laboratoire de chimiste, le fourneau, les tables d’expérience, les planches pour ranger les appareils, les vitrines, les armoires encombrées de fioles et de bocaux. Puis, à côté, Thomas, l’aîné, avait établi une petite forge, une enclume, un étau, l’outillage complet de l’ouvrier mécanicien qu’il avait voulu être, après son baccalauréat, afin de ne pas quitter son père et de l’aider, en collaborateur discret, pour de certaines applications. Dans l’autre coin, les deux cadets, François, et Antoine, faisaient ensemble bon ménage, aux deux bords d’une large table, parmi un encombrement de cartons, de casiers, de bibliothèques tournantes : François, chargé de lauriers universitaires, entré premier à l’École Normale, où il préparait actuellement un examen ; Antoine, pris en troisième du dégoût des études classiques, envahi par la passion unique du dessin, tout entier maintenant à son métier de graveur sur bois. Et, devant le vitrage, sous la pleine lumière, en face de l’horizon immense, Mère-Grand et Marie avaient, elles aussi, leur table de travail, des coutures, des broderies, un autre coin encore de chiffons et de délicates choses, parmi le pêle-mêle un peu rude des cornues, des outils, des gros livres, entassés de toutes parts.

Mais Marie avait crié, de sa voix calme, qu’elle s’efforçait de rendre rassurante et joyeuse :

— Les enfants ! les enfants ! voici monsieur l’abbé qui apporte des nouvelles de père !

Les enfants ! et quelle jeune maternité elle mettait dans ce mot, en s’adressant à ces grands gaillards, dont elle s’était considérée longtemps comme la sœur aînée ! Thomas, à vingt-trois ans, était un colosse, déjà barbu, d’une ressemblance frappante avec son père, le front haut, la face solide, un peu lent de corps et d’intelligence, silencieux, sauvage presque, enfermé dans sa dévotion