Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/163

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filiale, heureux de ce métier manuel qui le changeait en un simple manœuvre, aux ordres du maître. Moins âgé de deux ans, François était de physionomie plus fine, mais de taille presque égale, avec le même grand front, la même bouche ferme, tout un ensemble de santé et de force, où l’on ne retrouvait l’intellectuel affiné, le normalien scientifique, qu’à la flamme plus vive, plus subtile des yeux. Le dernier, Antoine, dont les dix-huit ans n’étaient guère moins vigoureux, aussi beau, aussi grand bientôt, différait pourtant par les cheveux blonds et les yeux bleus qu’il tenait de sa mère, des yeux d’une infinie douceur, que noyait le rêve. Plus jeunes, tous les trois au lycée Condorcet, on les distinguait difficilement, il n’était possible de les reconnaître qu’à la taille, dès qu’on les rangeait par ordre d’âges. Et, maintenant encore, on se trompait, lorsqu’ils n’étaient pas là tous les trois côte à côte, pour qu’on pût percevoir les différences qui s’accentuaient, avec la vie.

Quand Pierre entra, tous les trois étaient plongés en plein travail, si absorbés, qu’ils n’entendirent pas la porte s’ouvrir. Et ce fut de nouveau pour lui une surprise, cette discipline, cette fermeté d’âme, qu’il avait remarquées déjà chez Marie, à reprendre la quotidienne besogne, même au milieu des plus vives inquiétudes. Thomas, à son étau, limait avec soin une petite pièce de cuivre, en blouse, les mains rudes et adroites. Penché sur un pupitre, François écrivait, de sa grosse et ferme écriture, tandis que, de l’autre côté de la table, Antoine, un fin burin aux doigts, terminait un bois, pour un journal illustré. Mais la voix claire de Marie leur fit lever la tête.

— Père vous envoie de ses nouvelles, les enfants !

Et tous trois, alors, d’un même élan, lâchèrent le travail, s’approchèrent. Debout, par rang d’âges, avec leur ressemblance si grande, ils étaient comme les trois fils géants de quelque forte et puissante famille. Et, du mo-