Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/165

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complication grave ne se produira, certainement. Il m’envoie pour vous dire que vous soyez sans aucune inquiétude. »

Mère-Grand ne laissait pas paraître la moindre crainte. Très calme, elle avait semblé ne rien apprendre qu’elle ne sût déjà. Même elle paraissait soulagée, hors de l’angoisse qu’elle n’avait dite à personne.

— S’il est chez vous, monsieur, il y est évidemment le mieux du monde, à l’abri de tout danger… Sa lettre d’hier soir, sans explication sur la cause qui le retenait, nous avait surpris, et nous aurions fini par nous en effrayer… Tout va très bien maintenant.

Et, pas plus que Marie, Mère-Grand ni les trois fils ne demandèrent des explications. Sur une table, Pierre venait d’apercevoir des journaux du matin, jetés là, grands ouverts, avec leurs renseignements débordants sur l’attentat. À coup sûr, ils avaient lu, ils avaient craint que leur père ne fût compromis dans l’affreuse aventure. Que savaient-ils au juste ? Ils devaient ignorer Salvat, ils ne pouvaient reconstituer l’enchaînement imprévu des circonstances, qui avait amené la rencontre, puis la blessure. Mère-Grand, sans doute, était au courant de plus de choses. Mais eux, les trois fils, ainsi que Marie, ne savaient rien, ne se permettaient de rien savoir. Et, alors, quelle force de respect et de tendresse, dans leur inébranlable confiance au père, dans leur tranquillité, dès qu’il leur faisait dire qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter de lui !

— Madame, reprit Pierre, Guillaume m’a prié de vous remettre cette petite clé, en vous rappelant de faire ce dont il vous a chargée, dans le cas où il lui arriverait malheur.

Elle eut à peine un léger tressaillement, en prenant la clé ; et, simplement, elle répondit, comme s’il se fût agi du vœu d’un malade, le plus ordinaire du monde :