Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/166

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— C’est bien, dites-lui que sa volonté serait faite… Mais veuillez donc vous asseoir, monsieur.

En effet, Pierre était resté debout. Il dut accepter une chaise, malgré sa gêne persistante, désireux de ne pas la laisser voir, dans cette maison où, en somme, il se trouvait en famille. Marie, qui ne pouvait vivre sans occuper ses doigts, venait de se remettre à une broderie, un de ces fins travaux d’aiguille qu’elle s’entêtait à faire pour une grande maison de trousseaux et layettes, voulant au moins, disait-elle en riant, gagner son argent de poche. Par habitude aussi, même quand il y avait là des visiteurs, Mère-Grand avait repris l’éternel raccommodage de bas, pour lequel elle était montée chercher de la laine. Et François, ainsi qu’Antoine, retournés tous les deux devant leur table, s’étaient de nouveau assis ; tandis que Thomas, seul debout, s’appuyait contre son étau. C’était comme une courte récréation qu’ils s’accordaient, avant d’achever leur tâche. Une grande douceur d’intimité laborieuse s’épandit dans la vaste salle ensoleillée.

— Mais, dit Thomas, nous irons tous voir Père demain.

Marie, vivement, sans laisser Pierre répondre, leva la tête.

— Non, non, il défend que personne d’ici aille le voir ; car, si nous étions surveillés et suivis, ce serait livrer sa retraite… N’est-ce pas, monsieur l’abbé ?

— En effet, il sera prudent de vous priver de l’embrasser jusqu’à ce que lui-même puisse revenir. C’est une affaire de deux ou trois semaines.

Mère-Grand approuva tout de suite.

— Sans doute, rien n’est plus sage.

Et les trois fils n’insistèrent pas, acceptant la secrète inquiétude où ils allaient vivre, renonçant bravement à cette visite qui leur aurait causé tant de joie, puisque tel était l’ordre du père et puisque son salut peut-être en dépendait.