Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/171

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l’Europe entière, du fond de la Russie au fond de l’Espagne, et dont le signal partirait de la France, un massacre de trois jours, les boulevards balayés par la mitraille, la Seine rouge, roulant du sang. Et, grâce à cette belle et intelligente besogne de la presse, la terreur régnait, les étrangers épouvantés désertaient en masse les hôtels, Paris n’était plus qu’une maison de fous, où trouvaient créance les plus imbéciles cauchemars.

Mais ce n’était pas ce qui troublait Guillaume. Il ne s’inquiétait toujours que de Salvat, que des nouvelles pistes où se lançaient les journaux. Salvat n’était pas encore arrêté, et même, jusque-là, aucune information n’avait indiqué qu’on fût sur ses traces. Puis, tout d’un coup, Pierre lut une note, qui fit pâlir le blessé.

— Tiens ! il paraît qu’on a découvert parmi les décombres, sous le porche de l’hôtel Duvillard, un outil, un poinçon, sur le manche duquel se trouvait un nom, Grandidier, celui d’un usinier connu. Et ce Grandidier doit être appelé aujourd’hui chez le juge d’instruction.

Guillaume eut un geste de désespoir.

— Allons, cette fois, ils y sont, ils tiennent la bonne piste. C’est sûrement Salvat qui a laissé tomber cet outil. Il a travaillé chez Grandidier, avant de venir faire quelques journées chez moi… Et, par Grandidier, ils vont savoir, ils n’auront plus qu’à suivre le fil.

Pierre, alors, se souvint de cette usine Grandidier, dont il avait entendu parler à Montmartre, et où Thomas, le fils aîné, le mécanicien, travaillait parfois encore, après y avoir fait son apprentissage. Mais il n’osait toujours pas questionner son frère, dont il sentait les angoisses si graves, si hautes, si dégagées de toute basse crainte personnelle.

— Justement, reprit Guillaume, tu m’as dit que Thomas allait travailler à l’usine pendant mon absence, pour