Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/172

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ce moteur nouveau, qu’il cherche, qu’il a presque trouvé. Et, s’il y a perquisition, le vois-tu interrogé, ne voulant pas répondre, défendant son secret ?… Oh ! il faut le prévenir, le prévenir tout de suite !

Complaisant, Pierre s’offrit, sans le forcer à préciser davantage son désir.

— Si tu veux, j’irai voir Thomas à l’usine, cet après-midi. Et, en même temps, je rencontrerai peut-être monsieur Grandidier, je saurai ce qui s’est dit chez le juge d’instruction, et où en est l’affaire.

D’un regard mouillé, d’une tendre pression de main, Guillaume, le remercia.

— Oui, oui, frère, fais cela, ce sera bon et brave.

— D’autant plus, continua le prêtre, que je voulais aller à Montmartre, aujourd’hui… Sans te le dire, je suis hanté par un tourment. Si ce Salvat est en fuite, il a dû laisser, là-bas, la femme et l’enfant toutes seules. Je les ai vues, le matin de l’attentat, dans un tel dénuement, dans une telle misère, que je ne puis songer à ces pauvres créatures abandonnées, mourant de faim peut-être, sans un déchirement de cœur… Quand l’homme n’est plus là, l’enfant et la femme crèvent.

Guillaume, qui avait gardé la main de Pierre, la serra plus étroitement, et d’une voix qui tremblait :

— Oui, oui, ce sera bon et brave… Fais cela, frère, fais cela.

Cette maison de la rue des Saules, cette atroce maison de misère et de souffrance, elle était restée en la mémoire de Pierre comme l’abominable cloaque où le Paris pauvre agonisait. Et, de nouveau, cet après-midi, quand il y retourna, il la retrouva dans la même boue gluante, la cour salie des mêmes ordures, les escaliers noirs, humides, empuantis par le même abandon et la même détresse. L’hiver, lorsque les beaux quartiers du centre sèchent, se nettoient, les quartiers des misérables, là-bas,