Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/19

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grisonnaient déjà, bien qu’elle ne dût pas avoir plus de quarante ans ; et ses lèvres pâlies, ses yeux meurtris, dans sa face jaune, exprimaient une lassitude extrême, un air d’effacement et de continuelle crainte, sous l’acharnée misère. Elle se troubla, à la vue de la soutane, elle balbutia, inquiète :

— Entrez, entrez, monsieur l’abbé.

Mais un homme, que Pierre n’avait pas vu d’abord, un ouvrier d’une quarantaine d’années aussi, grand, maigre, chauve, un roux décoloré, les moustaches et la barbe rares, eut un geste de violence, la sourde menace de jeter le prêtre à la porte. Il se calma, s’assit près d’une table boiteuse, affecta de tourner le dos. Et, comme il y avait là encore une fillette blonde, de onze à douze ans, la figure longue et douce, avec cet air intelligent et un peu vieux que la grande misère donne aux enfants, il l’appela, la tint entre ses genoux, sans doute pour la protéger du contact de la soutane.

Pierre, le cœur serré par cet accueil, sentant le profond dénuement de cette famille, à la pièce nue et sans feu, à la détresse morne de ces trois êtres, se décida pourtant à poser sa question.

— Madame, vous ne connaissez pas dans la maison un vieil ouvrier du nom de Laveuve ?

La femme, tremblante maintenant de l’avoir fait entrer, puisque cela paraissait déplaire à son homme, essaya d’arranger les choses, timidement.

— Laveuve, Laveuve, non… Dis, Salvat, tu entends ? Est-ce que tu connais, toi ?

Salvat se contenta de hausser les épaules. Mais la petite fille ne put tenir sa langue.

— Écoute donc, maman Théodore… C’est peut-être le Philosophe.

— Un ancien ouvrier peintre, continua Pierre, un vieillard malade, qui ne peut plus travailler.