Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/18

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égorge. Il monta au bruit, il finit par se trouver devant une chambre grande ouverte, dans laquelle un enfant, laissé seul, attaché sur sa petite chaise, sans doute pour qu’il ne tombât pas, hurlait sans reprendre haleine. Il redescendit de nouveau, bouleversé, le sang glacé par tant de dénuement et d’abandon.

Mais une femme rentrait, rapportant trois pommes de terre dans son tablier ; et, comme il la questionnait, elle regarda sa soutane avec méfiance.

— Laveuve, Laveuve, je ne peux pas dire. Si la concierge était là, elle vous dirait peut-être… Vous comprenez, il y a cinq escaliers, on ne se connaît pas tous, et puis ça change si souvent… Voyez tout de même là, au fond.

Cet escalier du fond était plus abominable que les autres, les marches déjetées, les murs gluants, comme trempés d’une sueur d’angoisse. À chaque palier, les plombs soufflaient une haleine de peste, et de chaque logement sortaient des plaintes, des querelles, un affreux dégoût de misère. Une porte battit, un homme apparut, traînant une femme par les cheveux, pendant que trois mioches pleuraient. À l’étage supérieur, ce fut, dans une pièce entrevue, la vision d’une fille chétive et toussant, la gorge flétrie déjà, qui promenait violemment un poupon, pour le faire taire, désespérée de n’avoir plus de lait. Puis, ce fut encore, dans un logement d’à côté, la vue poignante de trois êtres, à demi vêtus de haillons, sans sexe ni âge, qui, au milieu de la nudité absolue de la chambre, mangeaient gloutonnement, à la même terrine, une pâtée dont les chiens n’auraient pas voulu. Ils levèrent à peine la tête, grondèrent, ne répondirent pas aux questions.

Pierre allait redescendre, lorsque, tout en haut, à l’entrée d’un couloir, il tenta une dernière fois de frapper à une porte. Une femme ouvrit, dont les cheveux dépeignés