Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/200

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les Normaliens de la section des lettres, vous changeriez sûrement d’avis, si vous connaissiez les Normaliens de la section des sciences… Chez nos camarades littéraires, il est très vrai que la réaction contre le positivisme se fait sentir, et qu’ils sont hantés, eux aussi, par l’idée de la fameuse banqueroute de la science. Cela tient sans doute un peu aux maîtres qu’ils ont, aux néo-spiritualistes et aux rhétoriciens dogmatiques entre les mains desquels ils sont tombés. Et cela tient plus encore à la mode, à l’air du temps qui veut, comme vous le dites très bien, que la vérité scientifique soit mal portée, sans grâce, d’une brutalité inacceptable pour les intelligences distinguées et légères. Un garçon de quelque finesse, et qui veut plaire, est forcément acquis à l’esprit nouveau.

— Ah ! l’esprit nouveau ! interrompit Pierre, dans un cri qu’il ne put retenir, il n’a pas l’innocence d’une mode passagère, il est une tactique, et terrible, tout un retour des ténèbres contre la lumière, de la servitude contre l’affranchissement des esprits, contre la vérité et la justice !

Puis, comme le jeune homme le regardait une seconde fois, de plus en plus étonné, il se tut. La figure de monseigneur Martha s’était dressée, et il croyait l’entendre, dans la chaire de la Madeleine, s’efforçant de reconquérir Paris à la politique de Rome, à ce prétendu néo-catholicisme qui acceptait de la démocratie et de la science ce qu’il pouvait en faire sien, pour les détruire. C’était la suprême lutte, tout le poison versé à la jeunesse partait de là, il n’ignorait pas les efforts faits dans les établissements religieux, afin d’aider à cette renaissance du mysticisme, avec l’espoir fou de hâter la déroute de la science. On disait que monseigneur Martha était tout-puissant à l’Université catholique et qu’il répétait à ses intimes qu’il faudrait trois générations d’élèves bien pensants et dociles, avant que l’Église redevînt la maîtresse souveraine de la France.