Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/208

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-haut des travaux, pour le Sacré-Cœur. Et, sur une réponse négative :

— Montez donc un instant, c’est un garçon de grand avenir. Vous verrez la maquette d’un ange qu’on lui a refusée.

François, lui aussi, se mit à faire l’éloge de cet ange, ce qui décida le prêtre. En haut, parmi les baraquements, que la construction de la basilique nécessitait, Jahan avait pu installer un atelier vitré dans un hangar, assez vaste pour y exécuter l’ange colossal qui lui était commandé. Les trois visiteurs le trouvèrent, vêtu d’une blouse, surveillant le travail de deux praticiens, en train de dégrossir le bloc de pierre, d’où l’ange allait naître. C’était un fort garçon de trente-six ans, très brun et barbu, ayant une grande bouche de santé et de beaux yeux brillants. Il était né à Paris, il avait passé par l’École, mais avec une fougue de tempérament, qui lui attirait de continuels ennuis.

— Ah ! oui, vous venez voir mon ange, celui dont l’archevêché n’a pas voulu… Tenez, le voilà !

La figure, haute d’un mètre, et dont l’argile séchait déjà, avait un envolement superbe, ses deux grandes ailes déployées, enflées d’un désir éperdu d’infini. Le corps, nu, drapé à peine, était d’un éphèbe, mince et robuste, à la tête noyée d’allégresse, comme emporté dans le ravissement du plein ciel.

— Ils l’ont trouvé trop humain, mon ange. Et, ma foi ! ils avaient raison… Un ange, c’est tout ce qu’il y a de plus difficile à concevoir. On hésite même sur le sexe, est-ce garçon ou fille ? Puis, quand la foi manque, on est bien forcé de prendre le premier modèle venu et de le copier, en l’abîmant… Moi, en faisant celui-ci, je tâchais de m’imaginer un bel enfant, à qui des ailes pousseraient, et que l’ivresse du vol emporterait dans la joie du soleil… Ça les a bousculés, ils ont voulu quelque chose de plus