Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/226

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respectueuse. Et Pierre le regardait toujours, à travers l’exécrable vision que son entrée venait d’évoquer en lui, celle du lamentable trottin de modiste, l’enfant blonde et jolie, étendue là-bas, le ventre ouvert, sous le porche de l’hôtel Duvillard. Ce fou, cet assassin, était-ce possible qu’il fût là et qu’il eût les yeux humides ?

Guillaume, touché, s’était approché pour serrer la main de l’homme.

— Je sais bien, Salvat, que vous n’êtes pas un méchant. Mais quelle bête et abominable chose vous avez faite, mon garçon !

Doucement, sans se fâcher Salvat sourit.

— Oh ! monsieur Froment, si c’était à refaire, je le referais. Ça, vous savez, c’est mon idée. Et, à part vous, je le répète, tout va bien, je suis content.

Il ne voulut pas s’asseoir, il causa debout un instant encore avec Guillaume ; pendant que Janzen, comme s’il se fût désintéressé, en désapprouvant une pareille visite, inutile et dangereuse, s’était assis, pour feuilleter un livre d’images. Guillaume tira de Salvat ce qu’il avait fait le jour de l’attentat, sa course errante, affolée de chien battu au travers de Paris, la bombe promenée partout, d’abord dans son sac à outils, puis sous son veston, et l’hôtel Duvillard dont la porte cochère était fermée, et la Chambre dont les huissiers lui avaient barré le seuil, et le Cirque où il avait songé trop tard à faire une hécatombe de bourgeois, et l’hôtel Duvillard enfin où il était revenu échouer, comme attiré par la force même du destin. Son sac à outils dormait au fond de la Seine, il l’y avait jeté dans une haine brusque du travail qui n’arrivait même pas à le nourrir, lui et les siens, ne gardant que la bombe, pour avoir les mains plus libres. Puis, il dit sa fuite, l’explosion formidable ébranlant derrière lui le quartier, sa joie et son étonnement de se retrouver plus loin, le long de rues tranquilles, où l’on