Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/253

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rien ne reste que des ruines, que la honte et le dégoût.

Elle avait dit cela d’une voix si féroce, si aiguë, que chaque phrase était entrée dans le cœur de sa mère, comme un couteau. Des larmes en montèrent aux yeux de la malheureuse, frappée en sa plaie vive. Ah ! c’était vrai, elle restait sans arme contre la jeunesse, elle n’agonisait que de vieillir, que de sentir l’amour s’en aller d’elle, maintenant qu’elle était pareille au fruit trop mûr, tombé de la branche.

— Jamais la mère de Gérard ne consentira à ce qu’il t’épouse.

— Il la décidera, ça le regarde… J’ai deux millions, on arrange bien des choses avec deux millions.

— Veux-tu donc le salir, dire qu’il t’épouse pour ton argent ?

— Non, non ! Gérard est un garçon très honnête et très gentil. Il m’aime, il m’épouse pour moi… Mais, enfin, il n’est pas riche, il n’a pas de situation assurée, à trente-six ans, et c’est tout de même à prendre en considération, une femme qui vous apporte la richesse avec le bonheur… Car, entends-tu, maman, c’est le bonheur que je lui apporte, le vrai, l’amour partagé, certain de l’avenir !

Une fois encore, elles se retrouvaient visage contre visage. L’exécrable scène, coupée par les bruits environnants, abandonnée, reprise, s’éternisait, tout un drame assourdi, d’une violence de meurtre, mais sans éclat, les voix étranglées. Ni l’une ni l’autre ne cédait, même sous la menace d’une surprise possible, avec toutes les portes ouvertes, les domestiques qui pouvaient entrer, la voix du père qui continuait à sonner gaiement, là, près d’elles.

— Il t’aime, il t’aime… C’est toi qui dis cela. Lui ne te l’a jamais dit.

— Il me l’a dit vingt fois, il me le répète chaque fois que nous sommes seuls.