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II


Ah ! quelle paix délicieuse, chez le bon abbé Rose, dans le petit rez-de-chaussée qu’il habitait rue Cortot, sur un étroit jardin ! Pas un bruit de voiture, pas même le souffle de Paris qui grondait de l’autre côté de la butte Montmartre, le grand silence et le calme endormi d’une lointaine ville de province.

Sept heures sonnaient, le crépuscule s’était fait doucement, et Pierre était là, dans l’humble salle à manger, attendant que la femme de ménage mît la soupe sur la table. L’abbé, inquiet de le voir à peine depuis un grand mois qu’il s’enfermait avec son frère, au fond de Neuilly, lui avait écrit la veille, en le priant de venir dîner, afin de causer tranquillement de leurs affaires ; car Pierre continuait à lui remettre de l’argent pour leurs aumônes communes, ils avaient gardé ensemble, depuis leur asile de la rue de Charonne, des comptes de charité, qu’ils réglaient de temps à autre. Après le dîner, ils causeraient de cela, ils examineraient s’ils ne pourraient pas faire mieux et davantage. Et le bon prêtre rayonnait, de cette belle soirée, si paisible, si tendre, qu’il allait passer ainsi, à s’occuper de ses chers pauvres, son seul amusement, l’unique plaisir auquel il revenait, par passion, comme à une faiblesse coupable, malgré tous les ennuis que sa charité inconsidérée lui avait causés déjà.

Pierre, heureux de lui donner ce plaisir, se calmait lui aussi, trouvait un soulagement, un repos de quelques heures, dans ce dîner si simple, dans toute cette bonté qui l’enveloppait, si loin de son affreuse tourmente de