Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/297

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comme à une bête que la lassitude doit suffire à livrer. De façon que, d’une minute à l’autre, il allait être pris.

— Je sais, monsieur le ministre, combien vous vous intéressez à cette arrestation, et j’ai eu la pensée d’accourir demander vos ordres. L’agent Mondésir est là-bas, qui mène la battue. Il regrette bien de n’avoir pas cueilli l’homme, boulevard Rochechouart ; mais son idée de le filer, tout de même, était excellente, et l’on ne peut que lui reprocher de ne s’être pas méfié du Bois de Boulogne.

Salvat arrêté, ce Salvat dont les journaux étaient pleins depuis trois semaines, c’était là une réussite, un coup dont le retentissement serait énorme. Monferrand écoutait, et au fond de ses gros yeux fixes, derrière son masque lourd de fauve au repos, se lisait tout un travail intérieur, toute une soudaine volonté d’utiliser à son profit l’événement que le hasard lui apportait. Confusément, déjà, un lien s’établissait en lui, entre cette arrestation et l’interpellation de Mège, l’autre affaire, celle des Chemins de fer africains, qui devait le lendemain renverser le ministère. Et une combinaison s’ébauchait : n’était-ce pas son étoile qui lui envoyait ce qu’il cherchait, le moyen de se repêcher dans l’eau trouble de la crise prochaine ?

— Mais, dites donc, monsieur Gascogne, êtes-vous bien sûr que ce Salvat soit l’auteur de l’attentat ?

— Oh ! absolument sûr, monsieur le ministre. Il avouera tout, dans le fiacre, avant d’arriver à la Préfecture.

Pensif, Monferrand s’était de nouveau mis à marcher, et les idées lui venaient, à mesure qu’il parlait, avec une lenteur réfléchie.

— Mes ordres, mon Dieu ! mes ordres, c’est d’abord que vous agissiez avec une grande prudence… Oui, n’ameutez pas les promeneurs du Bois. Tâchez que l’arrestation passe inaperçue… Et, si vous obtenez des aveux,