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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/319

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IV


L’après-midi de ce même jour, Guillaume fut pris d’un tel besoin de grand air et d’espace, que Pierre consentit à faire avec lui une longue promenade dans le Bois de Boulogne, voisin de leur petite maison. À son retour du ministère, pendant le déjeuner, il avait conté à son frère comment le gouvernement entendait se débarrasser une fois de plus de Nicolas Barthès ; et tous deux en avaient l’âme assombrie, ne sachant de quelle façon annoncer l’exil au vieil homme, se donnant jusqu’au soir pour trouver la manière d’en adoucir l’amertume. Ils en causeraient en marchant. Puis, pourquoi se cacher davantage, pourquoi ne pas risquer cette première sortie, puisque rien décidément ne semblait menacer Guillaume ? Et les deux frères entrèrent dans le Bois par la porte des Sablons, qui se trouvait prochaine.

On était aux derniers jours de mars, le Bois commençait à verdir, mais si tendrement, que les pointes légères des feuilles n’étaient encore, au travers des massifs, qu’une mousse pâle, une dentelle d’une infinie délicatesse. Les averses continues de la nuit et de la matinée avaient cessé, le ciel restait d’un gris de cendre fine, et cela était d’une exquise fraîcheur, d’une enfance ingénue, ce Bois renaissant, trempé d’eau, dans la douceur immobile de l’air. Les réjouissances de la mi-carême avaient dû attirer la grande foule, au centre de Paris, sur le passage des chars, car il n’y avait, par les allées, que des cavaliers et des équipages, de belles promeneuses descendues des coupés et des landaus, avec des nourrices