Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/321

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prendre pour une bête, quelque sanglier traqué, forcé par les chiens. Un instant, éperdu, il hésita devant le ruisseau, le longea ; puis, comme des pas, des souffles ardents se rapprochaient, il entra dans l’eau jusqu’aux cuisses, bondit sur l’autre rive, disparut derrière un bouquet de sapins. Presque aussitôt, des gardes du Bois sous la conduite de quelques agents se précipitèrent, filèrent le long du ruisseau, se perdirent. C’était toute une chasse à l’homme qui passait, une chasse sourde et rageuse, dans le tendre renouveau des feuilles, sans habits rouges ni fanfares sonnantes de cors.

— Quelque vaurien, murmura Pierre. Ah ! le malheureux !

Guillaume à son tour eut un geste découragé.

— Toujours les gendarmes et la prison ! On n’a pas encore trouvé d’autre école sociale.

L’homme, là-bas, là-bas, galopait. Lorsque, la nuit précédente, Salvat, d’une course brusque, avait gagné le Bois de Boulogne, échappant ainsi aux agents qui le filaient, il avait eu l’idée de se glisser jusqu’à la porte Dauphine et de descendre ensuite dans le fossé des fortifications. Il se souvenait des journées de chômage qu’il était venu jadis passer en cet endroit, au fond de refuges ignorés, où il n’avait jamais rencontré personne. Et, en effet, il n’est pas d’asiles plus secrets, barrés de plus de broussailles, enfouis sous plus d’herbes hautes. Certains coins du fossé, dans les angles de la grande muraille, ne sont que des nids de vagabonds et d’amoureux. Salvat, en s’engageant au plus épais des ronces et des lierres, eut la chance de trouver, sous l’obscure pluie qui tombait, une sorte de trou plein de feuilles sèches, dans lesquelles il s’enterra jusqu’au menton. Il était déjà ruisselant d’eau, il avait glissé par la boue des pentes, n’avançant qu’à tâtons, souvent à quatre pattes. Ces feuilles sèches lui furent un bienfait inespéré, une sorte de drap