Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/334

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heureux de lui laisser arranger son existence, telle qu’elle la désirait.

— C’est bien certain, poursuivit-elle, en finissant par plaider les raisons en faveur de l’abominable mariage, Camille t’apporterait tout ce que je te souhaite, tout ce que je rêve pour toi. Avec elle, grâce aux conditions que je n’ai pas besoin de dire, c’est la vie fortunée, assurée… Quant au reste, mon Dieu ! il y a tant d’exemples ! Ce n’est pas que je veuille excuser notre faute, mais j’en citerais vingt, des maisons où il s’est passé des choses pires… Et puis, va, j’avais tort, lorsque je disais que l’argent creusait un abîme. Il rapproche au contraire, il fait tout pardonner, tu n’aurais autour de toi que des jalousies, émerveillées de ta chance, et pas un blâme.

Gérard se leva, parut une dernière fois se révolter.

— Voyons, ce n’est pas toi, à présent, qui vas me forcer à épouser ta fille ?

— Ah ! grand Dieu, non !… Mais je suis raisonnable, je dis ce que je dois te dire. Tu réfléchiras.

— C’est tout réfléchi… Je t’ai aimée et je t’aime. Le reste est impossible.

Elle eut un divin sourire, elle vint le reprendre entre ses bras, debout tous les deux, unis une fois encore dans cette étreinte.

— Que tu es bon et gentil, mon Gérard ! Si tu savais comme je t’aime, comme je t’aimerai toujours, malgré tout !

Et ses larmes revinrent, et lui-même pleura. Ils étaient de bonne foi l’un et l’autre, dans leur naturelle tendresse, reculant le dénouement pénible, voulant espérer encore du bonheur. Mais ils le sentaient bien, le mariage était fait. Il n’y avait plus là que des pleurs et des mots, la vie marchait quand même, l’inévitable s’accomplirait. L’idée qui les attendrissait à ce point, devait être que c’était leur dernière étreinte, leur dernier rendez-vous,