Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car ce serait si vilain, de se revoir, après ce qu’ils savaient, ce qu’ils s’étaient dit. Pourtant, ils voulaient garder l’illusion qu’ils ne rompaient pas, qu’ils retrouveraient peut-être un jour le goût de leurs lèvres. Et la fin de tout pleurait en eux.

Puis, quand ils se furent séparés, ils revirent l’étroit cabinet, avec son divan fané, ses quatre chaises et sa table. La petite cheminée à gaz sifflait, on étouffait maintenant, dans une humidité lourde et chaude.

— Alors, reprit-il, tu ne prends pas une tasse de thé ?

Elle était devant la glace, en train d’arranger ses cheveux.

— Ma foi ! non, il est épouvantable, ici.

Et la tristesse des choses la pénétrait, l’angoissait, à cette minute du départ, elle qui avait cru trouver là un si délicieux souvenir, lorsque des bruits de pas, des voix grosses, tout un brusque tumulte acheva de la bouleverser. On courait dans le couloir, on frappait aux portes. De la fenêtre, où elle se précipita, elle aperçut des agents qui cernaient le restaurant. Les plus folles idées l’assaillirent, sa fille qui l’avait fait suivre, son mari qui voulait divorcer pour épouser Silviane. C’était le scandale affreux, l’écroulement de tous les projets. Elle attendait toute blanche, éperdue, tandis que lui, pâle comme elle, frémissant, la suppliait de se calmer, de ne pas crier surtout. Mais, lorsque de grands coups ébranlèrent la porte, et que le commissaire de police se nomma, il fallut bien ouvrir. Ah ! quelle minute ! et quel effarement, et quelle honte !

En bas, Pierre et Guillaume avaient attendu pendant près d’une heure que la pluie cessât. Ils causaient à demi-voix, dans un coin de la petite salle vitrée, envahis par la douceur triste de cette grise journée de fête, discutant, prenant enfin un parti sur le douloureux cas de Nicolas Barthès. Et ils s’étaient arrêtés à l’idée de faire