Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/34

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n’a pas commis la bêtise d’en dresser une… Et puis, quoi ? l’affaire est courante, il ne s’y est fait que ce qu’on a toujours fait dans les affaires semblables.

Anxieux pour la première fois de sa vie, Dutheil l’écoutait, avec le besoin d’être rassuré.

— N’est-ce pas ? s’écria-t-il. C’est ce que je me suis dit, il n’y a pas dans tout cela un chat à fouetter.

Il tâchait de retrouver son rire, et il ne savait plus au juste comment il avait pu toucher une dizaine de mille francs dans l’aventure, à titre de vague prêt, ou sous le prétexte d’une publicité fictive, car Hunter s’était montré très adroit pour ménager la pudeur des consciences, même des moins virginales.

— Pas un chat à fouetter, répéta Duvillard que la tête de Dutheil amusait décidément ; et, d’ailleurs, mon bon ami, c’est connu, les chats retombent toujours sur leurs pattes… Vous avez vu Silviane ?

— Je sors de chez elle, je l’ai trouvée furieuse contre vous… Ce matin, elle a su que son affaire de la Comédie était dans l’eau.

Brusquement, un flot de colère empourpra la face du baron. Lui si calme, si goguenard devant la menace du scandale des Chemins de fer africains, perdait pied, le sang en tempête, dès qu’il s’agissait de cette fille, la passion dernière, impérieuse de ses soixante ans.

— Comment, dans l’eau ! mais, avant-hier encore, aux Beaux-Arts, on m’avait donné une promesse presque formelle !

C’était un caprice têtu de cette Silviane d’Aulnay, qui n’avait eu jusque-là, au théâtre, que des succès de beauté, et qui s’obstinait à entrer à la Comédie-Française, pour y débuter dans le rôle de Pauline, de Polyeucte, un rôle qu’elle étudiait avec acharnement depuis des mois. Cela semblait fou, tout Paris en riait, car la demoiselle avait une renommée de perversion abominable, tous les vices,