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bancs de la droite, lorsque, se séparant de Barroux, il termina par un salut de sympathie aux catholiques ralliés, par un appel à la concorde des diverses croyances, contre l’ennemi commun, le farouche socialisme qui parlait de tout détruire.

Quand Monferrand descendit de la tribune, le tour était joué, il s’était repêché, la Chambre entière applaudissait, gauche et droite confondues, couvrant la protestation des quelques socialistes, dont la clameur ne faisait qu’ajouter à ce tumulte de triomphe. Des mains se tendaient vers lui, il resta un instant debout, bonhomme et souriant, mais d’un sourire où grandissait une inquiétude. Son succès commençait à le gêner, à lui faire peur. Est-ce qu’il aurait trop bien parlé ? Est-ce qu’au lieu de se sauver seul, il aurait aussi sauvé le ministère ? C’était la ruine de tout son plan, il ne fallait pas que la Chambre votât sous le coup de ce discours qui venait de la bouleverser. Et il passa là deux ou trois minutes d’anxiété véritable, à attendre, souriant toujours, si personne ne se levait pour lui répondre.

Dans les tribunes, le succès était aussi grand. On avait vu des dames applaudir. Et monseigneur Martha lui-même donnait les marques de la plus vive satisfaction.

— Hein ? mon général, disait Massot en ricanant, voilà nos hommes de guerre d’aujourd’hui, et un rude homme, celui-là !… C’est ce qu’on appelle tirer son épingle du jeu. Seulement, c’est tout de même du bel ouvrage.

Enfin, Monferrand aperçut Vignon, poussé par ses amis, qui se levait et montait à la tribune. Alors, son sourire retrouva toute sa bonhomie malicieuse ; et il reprit sa place au banc des ministres, pour écouter béatement.

Avec Vignon, tout de suite, l’air de la Chambre changea. Il était mince et correct à la tribune, avec sa belle barbe blonde, ses yeux bleus, son attitude souple de jeu-