Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/362

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— Allons, dit Massot en partant avec le général et avec Pierre, nous en sommes à un ministère Vignon. Mais, tout de même, Monferrand s’est repêché. À la place de Vignon, je me méfierais.

Le soir, dans la petite maison de Neuilly, il y eut des adieux, d’une simplicité et d’une grandeur émouvantes. Après la rentrée de Pierre, attristé, mais rassuré, Guillaume avait décidé formellement que, dès le lendemain, il irait reprendre à Montmartre sa vie et ses travaux habituels. Et, comme Nicolas Barthès, lui aussi, devait partir, la petite maison allait donc retomber dans sa solitude et dans sa désespérance.

Théophile Morin était venu, averti par Pierre de la douloureuse nouvelle ; et, lorsque les quatre hommes se mirent à table, à sept heures, Barthès ne savait rien encore. Toute la journée, il s’était promené d’un bout à l’autre de sa chambre, de son pas lourd de lion en cage, vivant là, dans cet asile offert par un ami, en grand enfant héroïque qui ne s’inquiétait jamais des conditions du présent, ni des menaces du lendemain. Sa vie avait toujours été un espoir sans limites, qui toujours se brisait contre les bornes de la réalité. Tout ce qu’il avait aimé, tout ce qu’il avait cru acheter par près de cinquante ans de prison et d’exil, la liberté égalitaire, la république fraternelle, avait beau crouler déjà, donner à son rêve les plus durs démentis : il gardait quand même sa foi, la foi candide de sa jeunesse, certaine du prochain avenir. Il souriait divinement, lorsque les nouveaux venus, les violents qui l’avaient dépassé, le raillaient, le traitaient en bon vieillard. Lui-même ne comprenait rien aux sectes nouvelles, s’indignait de leur manque d’humanité, superbe et têtu dans son idée de régénérer le monde par la conception simpliste des hommes naturellement bons, tous libres et tous frères.

Et, ce soir-là, en dînant, se sentant avec des amis