Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/363

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tendres, il fut très gai, il montra l’ingénuité de son âme, par l’absolue certitude où il était de voir son idéal se réaliser prochainement, malgré tout. Puis, comme il était un conteur exquis, lorsqu’il voulait bien causer, il eut des histoires charmantes sur ses diverses prisons. Il les connaissait toutes, et Sainte-Pélagie, et le Mont-Saint-Michel, et Belle-Île-en-Mer, et Clairvaux, et les cachots transitoires, et les pontons empoisonnés, riant encore à certains souvenirs, disant le refuge qu’il avait partout trouvé dans sa libre conscience. Et les trois hommes qui l’écoutaient, étaient charmés, malgré l’angoisse qui leur serrait le cœur, à la pensée que cet éternel prisonnier, cet éternel banni, devait se lever de nouveau et reprendre son bâton, pour le départ.

Au dessert seulement, Pierre parla. Il dit de quelle façon le ministre l’avait fait appeler et les quarante-huit heures qu’il donnait à Barthès pour gagner la frontière, s’il ne voulait pas être arrêté. Le vieil homme, à la longue toison blanche, au nez en bec d’aigle, aux yeux toujours brûlants de jeunesse, se leva gravement, voulut partir tout de suite.

— Comment, mon enfant, vous savez cela depuis hier, et vous m’avez gardé, vous m’avez fait courir le risque de vous compromettre davantage, en restant dans votre maison !… Il faut m’excuser, je ne pensais pas au tracas que je vous donne, je croyais que tout allait s’arranger si bien !… Et merci, merci à Guillaume, merci à vous, des quelques jours si calmes que vous avez donnés au vieux vagabond, au vieux fou que je suis !

On le supplia de rester jusqu’au lendemain matin, il n’écouta rien. Un train partait pour Bruxelles, vers minuit, et il avait tout le temps de le prendre. Même il refusa formellement que Morin se donnât la peine de l’accompagner. Morin n’était pas riche, avait ses occupations. Pourquoi donc lui aurait-il pris son temps, lorsqu’il était