Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/372

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fut venue chercher le panier de provisions. Marie lui recommanda de l’appeler pour les œufs à la coque, car elle se piquait d’avoir une recette merveilleuse, une façon de les cuire à point, qui gardait le blanc en un lait crémeux. Et ce fut là l’occasion de quelques plaisanteries de François, qui la taquinait parfois sur toutes les belles choses qu’elle avait apprises au lycée Fénelon, où son père l’avait mise à douze ans, après la mort de sa mère. Mais elle répondait vaillamment, riait à son tour des heures que lui-même perdait à l’École Normale, à propos de chinoiseries pédagogiques.

— Ah ! les grands enfants ! dit-elle, sans lâcher son travail de broderie, c’est drôle, vous êtes pourtant tous les trois très intelligents, très larges d’esprit, et ça vous offusque un peu, au fond, avouez-le, qu’une fille comme moi ait fait, comme vous autres garçons, ses études dans un lycée ? Querelle de sexes, question de rivalité et de concurrence, n’est-ce pas ?

Ils protestèrent, jurèrent qu’ils étaient pour la plus large instruction donnée aux filles. Elle le savait bien, et s’amusait à leur rendre leurs taquineries.

— Non, non, sur cette affaire-là, vous êtes très en retard, mes enfants… Je n’ignore pas ce que, dans la bourgeoisie bien-pensante, on reproche aux lycées de filles. D’abord, l’instruction y est absolument laïque, ce qui inquiète les familles qui croient, pour les filles, à la nécessité de l’instruction religieuse, comme défense morale. Ensuite, l’instruction s’y démocratise, les élèves y viennent de tous les mondes, la demoiselle de la dame du premier et celle de la concierge s’y rencontrent, y fraternisent, grâce aux bourses qu’on distribue très largement. Enfin, on s’y affranchit du foyer, une place de plus en plus grande y est laissée à l’initiative, et tous ces programmes très chargés, toute cette science qu’on exige aux examens est certainement une émancipation de la