Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/400

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tels, sans parvenir à se mettre au régime lacté que lui imposait son jeune amant. Ce voyage de leurs noces, non plus dans la chaude Italie, mais au pays des glaces et des neiges, était sans doute d’une élégance rare, qui disait bien la distinction de leur amour, exempt de toute matérialité grossière. Leur âme seule était du voyage, et ils ne devaient y connaître que des baisers d’âme. Le malheur fut, une nuit, dans un hôtel, comme il s’obstinait à la traiter en fiction, en pur lis symbolique, qu’elle s’exaspéra au point de prendre une cravache et de le cingler, à tour de bras. Lui-même eut la faiblesse de se fâcher, de la battre comme plâtre. De sorte qu’ils tombèrent ensuite dans les bras l’un de l’autre et qu’ils succombèrent, se possédèrent, comme des gens du commun. Au réveil, elle trouva médiocre cette sensation qu’elle était venue chercher si loin, tandis que lui ne l’excusa pas d’avoir si bassement dénoué une aventure dont il avait espéré quelque intellectualité. À quoi bon venir polluer le Nord vierge et divin, quand une ville déjà souillée de France aurait suffi ? Et, dès le lendemain, n’étant plus assez purs, ne se sentant plus en communion avec les cygnes, sur les lacs du rêve, ils reprirent le bateau.

Brusquement, elle s’interrompit dans son extase pâmée au sujet de la Norvège, car il était inutile de confesser à tous leur échec lamentable. Et elle s’écria :

— À propos, vous savez ce qui m’attendait, à mon retour. J’ai trouvé mon hôtel dévalisé, oh ! complètement. Un saccage dont vous n’avez pas l’idée, et une saleté immonde !… Tout de suite nous avons reconnu la signature, nous avons pensé aux petits amis de Bergaz.

Guillaume, la veille, avait lu qu’une bande de jeunes anarchistes s’était introduite, en fracturant la baie d’un sous-sol, dans le petit hôtel de la princesse de Harth, laissé désert, sans un serviteur, sans un gardien. Les aimables bandits ne s’étaient pas contentés de tout démé-