Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/405

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semblé des outils tout-puissants de propagande et de victoire.

— Vous savez, reprit-il en se calmant, que son hôtel dévalisé et souillé est un coup de la police… On a voulu, à la veille du procès de Salvat, achever de perdre l’anarchie dans l’idée des bourgeois.

Guillaume devint attentif.

— Oui, elle m’a dit cela… Mais je ne crois guère à cette histoire. Si Bergaz n’avait agi que sous l’influence dont vous parlez, on l’aurait arrêté avec les autres, comme autrefois on a, dans le même coup de filet, arrêté Raphanel et ceux qu’il avait vendus… Et puis, j’ai un peu connu Bergaz, c’est un pillard.

Sa voix s’était assombrie, il eut un geste de grand chagrin.

— Certes, je comprends toutes les revendications, même toutes les légitimes représailles… Mais le vol, le vol cynique, pour la jouissance, ah ! non, je ne puis m’y faire. La hautaine espérance d’une société juste et meilleure en est dégradée en moi… Ce vol de l’hôtel de Harth m’a désolé.

Janzen avait son énigmatique sourire, mince et coupant comme un couteau.

— Bah ! affaire d’atavisme, ce sont les siècles d’éducation et de croyance, derrière vous, qui protestent. Il faudra bien reprendre ce qu’on ne veut pas rendre… Ce qui me fâche, moi, c’est que Bergaz a choisi le moment pour se faire acheter. Un vol de comédie, un effet oratoire que se prépare le procureur qui demandera la tête de Salvat.

Il s’obstinait à son explication, dans sa haine de la police, peut-être aussi à la suite d’une brouille avec Bergaz, qu’il avait fréquenté. Son existence de sans-patrie, promenée au travers de l’Europe en un rêve sanglant, restait insondable. Et Guillaume, renonçant à discuter, se contenta de dire :